
L’inclusion des cryptomonnaies dans l’impôt sur la fortune, récemment votée par le Sénat, marque un recul stratégique pour l’ambition numérique française. Elle apparaît comme une mesure fiscale profondément injuste et techniquement impraticable.
En novembre 2024, dans le cadre des discussions autour du budget 2025, le Sénat a adopté deux amendements visant à inclure les cryptoactifs dans l’assiette de l'impôt sur la fortune. En creux : une critique de l'impôt sur la fortune actuel, qui pénalise des investissements comme l’immobilier locatif mais en épargne d’autres jugés improductifs (comptes bancaires, yachts, crypto-monnaies).
Mais la censure du gouvernement Barnier offre un répit salutaire pour mettre en lumière les effets contre-productifs d’une telle mesure.
Une taxation irréalisable
Contrairement à l’immobilier, dont la valeur fluctue peu d’un jour à l’autre, les cryptoactifs se caractérisent par une grande volatilité. Un bien immobilier évalué au 1er janvier conservera sa valeur au 2 janvier. Mais un cryptoactif peut connaître des variations spectaculaires en quelques heures. Ainsi, un contribuable éligible à l’impôt sur la fortune le 31 décembre pourrait ne plus l’être au 1er janvier, et inversement.
Cette volatilité pose un problème fondamental d’équité fiscale. Taxer des actifs numériques sur une base annuelle pourrait forcer leurs détenteurs à vendre précipitamment dans des conditions défavorables, uniquement pour s’acquitter de l’impôt. Pire encore, cette cession déclencherait l’imposition des plus-values à 30%, ajoutant une double peine fiscale.
La situation est encore plus complexe pour les actifs numériques illiquides, tels que les NFT ou les jetons émis par de jeunes entreprises innovantes. Comment un contribuable détenant un NFT très valorisé, mais dépourvu de liquidités, pourrait-il s’acquitter de l’impôt sans le vendre ?
Ces amendements ignorent la diversité des cryptoactifs. Une approche plus nuancée est indispensable pour éviter des effets de bord dévastateurs, tant pour les investisseurs que pour le marché des actifs numériques.
Un alourdissement administratif
Les détenteurs de cryptomonnaies, souvent jeunes, manquent des ressources et connaissances pour s’adapter à une fiscalité déjà complexe. Conséquence à anticiper : une multiplication des contentieux fiscaux, générant des coûts pour les contribuables comme pour l’administration.
Une législation fiscale efficace repose sur deux principes fondamentaux : prévisibilité et sécurité juridique. Pourtant, l’inclusion des cryptomonnaies dans l’impôt sur la fortune semble s’inscrire dans une démarche précipitée de «taxer d’abord, réfléchir ensuite ». Cette approche crée un climat d’incertitude, au détriment de l’élan économique que la France cherche à insuffler dans le secteur numérique.
Un opportunisme politique
Réduire les cryptomonnaies à une valeur patrimoniale détournée de toute utilité revient à nier leur potentiel technologique et économique. Mais est-ce vraiment unhasard si cette proposition émerge alors que le cours du bitcoin a bondi de 120% en un an ?
Ceux qui qualifiaient hier encore le bitcoin d’arnaque lorsque son cours était en berne le considèrent opportunément comme un actif taxable dès qu’il monte. Pour les crypto-enthousiastes, ce pragmatisme politique ressemble à une hypocrisie flagrante visant à décourager l’investissement dans cette nouvelle classe d’actifs.
Pourtant, des dispositifs alternatifs pourraient orienter ces investissements vers l’économie réelle. En 2021, le député Person avait d’ailleurs proposé un mécanisme de report d’impôt pour réinjecter les profits des cryptoactifs dans les entreprises.
Pourquoi donc privilégier une taxation punitive, qui décourage et fragilise, plutôt qu’un cadre incitatif au bénéfice de l’écosystème français ?