Interview
Capital

Bitcoin, Ether : que deviennent les cryptos au décès de l'investisseur ?

Stéphanie Némarq-Attias
Founding partner at QOMIT
Gwendal Texier
Notaire associé de Ap Notaires

Peut-on transmettre ses cryptos comme on lègue une maison ? A défaut d'avoir été adoptées largement comme moyen de paiement, les cryptomonnaies sont en passe de devenir un placement comme les autres.

 

Si l'on en croit la dernière étude réalisée par le cabinet Deloitte pour l'Adan (laFédération des acteurs du Web3 en France et en Europe), en avril dernier, un Français sur dix détient au moins une cryptomonnaie. Une proportion déjà supérieure à celle des investisseurs particuliers ayant réalisé au moins un achat ou une vente d’actions cotées en 2024, - 2% des Français, selon l'Autorité des marchés financiers (AMF).

 

Mais la propagation des cryptoactifs (comme préfère les dénommer la Banque deFrance), ne va pas sans poser quelques questions - pas toujours joyeuses -,notamment sur ce qu'elles deviennent au décès du souscripteur.

 

Il faut rappeler que les «cryptos» sont détenues dans des «wallets», des portefeuilles numériques ou physiques (sous la forme de clés USB cryptées), qui empêchent en principe les héritiers de pouvoir y accéder.

 

Par ailleurs, quelle valeur retenir pour procéder à la cession de ces actifs extrêmement volatils ? Leur prix au moment du décès ou de la succession ? Autant de questions que nous avons voulu tirer au clair avec deux experts,Stéphanie Némarq-Attias, avocate fiscaliste et fondatrice du cabinet QOMIT, et Gwendal Texier, notaire associé de Ap Notaires.

 

Les cryptos sont-elles intégrées à la succession, comme n’importe quel autre bien(immobilier, actions…) ?

 

Stéphanie Némarq-Attias et Gwendal Texier : Oui, les cryptos font pleinement partie de l’actif successoral. Comme tout autre bien, elles doivent être identifiées, rattachées au défunt, évaluées, fiscalisées et transmises aux héritiers. En tant que nouvelle classe d’actifs, elles posent toutefois des défis inédits que les notaires doivent désormais intégrer dans leur pratique.

 

Quelle est la valeur retenue pour les cryptomonnaies ? Celle au moment du décès,ou quand l'héritier la récupère ?

 

La règle est claire : c’est le cours au jour du décès qui fait foi, et non celui du jour où les héritiers récupèrent les cryptos. Pour déterminer ce prix, on se réfère à la valeur affichée par certaines plateformes reconnues par le régulateur français.

 

L’important est de pouvoir justifier la méthode choisie en cas de contrôle fiscal. Un point d’attention toutefois : entre le décès et la clôture de la succession (période qui peut durer plusieurs mois), les héritiers n’ont pas la main sur les actifs. Ils restent donc totalement exposés aux fluctuations du marché. Si le cours chute après le décès, les héritiers auront payé des droits de succession sur une valeur supérieure à celle qu’ils récupèrent réellement. Pour limiter ce risque, nous accompagnons nos clients dans la mise en place de stratégies qui permettent de protéger leurs héritiers.

 

Comment un héritier peut-il contacter une plateforme pour récupérer les actifs ?

 

C’est le notaire chargé de la succession qui contactera la plateforme. Encore faut-il savoir où sont détenus les actifs : il existe des centaines de plateformes dans le monde. L’identification de la plateforme est donc essentielle. Les démarches sont souvent complexes (support en anglais, accès limité). Certaines plateformes développent des services succession, mais cela reste inégal.

 

Comments'assurer que ses cryptos puissent être transmises à ses bénéficiaires ?

 

L’anticipation est la clé d’une transmission réussie de ses cryptos. Elle passe par la sécurisation des accès (clés publiques, clés privées, identifiants), le choix d’un mode de conservation adapté (plateforme régulée, wallet, coffre-fort numérique), et enfin par la mise en place d’outils juridiques (donation, mandat posthume, testament) pour préparer cettet ransmission. Sans préparation, les héritiers risquent de ne jamais pouvoir récupérer les actifs de la succession.

 

Comments'appliquent les droits de succession ?

 

Le barème classique des droits de succession s’applique désormais aux cryptos comme à tout autre bien, selon leur valeur au jour du décès. Les abattements et taux dépendent du lien de parenté et du montant total transmis. Le notaire centralise ces éléments et procède, lors de la déclaration fiscale, au paiement des droits éventuellement dus auprès de l’administration.

 

Les cryptomonnaies transmises sont-elles soumises à un impôt en cas de cessionpostérieure par les héritiers ?

 

Lorsqu’un héritier revend des cryptos reçues par succession, la plus-value est calculée selon une formule complexe qui prend en compte l’ensemble du portefeuille, avec comme prix d’acquisition la valeur retenue au décès. En cas de gain, la plus-value sera imposée au taux forfaitaire de 30% (PFU ou flat tax), en plus d’éventuelles surtaxes sur les hauts revenus. Compte tenu de la complexité des obligations déclaratives annuelles, il peut être judicieux de se faire accompagner par un avocat fiscaliste.

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